Le tournant démographique du Québec : l’immigration au service de la vitalité économique
- marchesglobauxhec
- 3 nov.
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L’immigration: un enjeu actuel qui chauffe les esprits de plusieurs québécois sur ses conséquences socio-économiques. La province a en effet connu une hausse démographique notable, en majeure partie causée par une augmentation des immigrants non-permanents. Cette caractéristique migratoire regroupe, entre autres, les travailleurs temporaires, les demandeurs d’asile, les étudiants etc. En plus d’avoir une proportion faible de cette immigration qui est étudiante, le Québec recense près de 40% des demandeurs d’asile au sein du Canada. Ce sont en effet 617 000 résidents non-permanents qui ont été répertoriés au cours de 2024, soit environ 7% de la population du Québec.
Ce flux migratoire est certes significatif, mais peut sembler moins déboussolant lorsqu’on considère le fait que le Québec a répertorié plus de décès que de naissances en 2024.
D’un côté objectif, des experts affirment que cette immigration est nécessaire pour assurer une stabilité de niveau de vie au Québec et ainsi faire face à cet enjeu de dénatalité. Pour d’autres experts, il s’agit d’une des causes fondamentales de la difficulté des moyens publics au Québec, principalement sur les réseaux de la santé et de l’éducation ainsi que de l’accès au logement. Quel constat faut-il faire de la situation immigratoire au Québec?
La pénurie de main-d’œuvre
Le marché du travail québécois pourrait se trouver à la croisée des chemins. En 2024, le Québec comptait environ 133 000 emplois vacants, pour un taux de vacance de 3,3 % du marché du travail. La situation provient d’une « désaffection sur le marché du travail » due à la fois à « la vieillesse de la population active » et à une baisse du taux de participation (qui s’établissait à 64,7 % en 2025, notamment pour les jeunes et les travailleurs âgés).
Ainsi, l’immigration représente un levier d’ajustement économique, mais son efficacité dépend de la rapidité d’intégration des nouveaux arrivants qui demeure « relativement lente », en raison de la lourdeur des démarches administratives, de la lenteur de la reconnaissance des compétences et de l’instabilité des critères d’admission. L’Institut économique de Montréal (2023) note que « la rareté de main-d’œuvre constitue l’un des principaux freins à la croissance » des entreprises québécoises.
Les tensions politiques : Priorités économiques versus identitaires
La question sur l’enjeu divise énormément. D’un spectre identitaire, plusieurs expriment l’effet de capacité d’intégration qui semble ne pas tenir le cap de l’accélération démographique. Cette instance pourrait entraîner des répercussions régressives sur la capacité de francisation des nouveaux immigrants, permanents ou non. Finalement, plusieurs s’inquiètent sur la pérennité culturel et linguistique du Québec découlant d’une capacité d’accueil défaillante.
Et justement, tel est la question. Considérant la situation démographique et économique de la province, quel est sa capacité d’accueil? La question est complexe.
Dans un rapport de mai 2025 de la chaire Jacques-Parizeau en politiques économiques, le professeur titulaire d’HEC Montréal Pierre-Carl Michaud évoquait qu’il serait souhaitable d’avoir une cible d’immigrants permanents de 70 000 par année, contrairement à la cible de 50 000 que s’est fixé le gouvernement de la Coalition Avenir Québec depuis le début de son mandat en 2018. Autrement, la dénatalité de la province entraînerait une décroissance du PIB par habitant. Pour ce qui est du niveau actuel de résidents non-permanents, Pierre-Carl Michaud mentionne que ce niveau n’est pas souhaitable, mais qu’on ne peut réduire drastiquement celui-ci à court terme, contrairement aux ambitions du gouvernement. Une réduction trop importante rapidement aurait des effets chocs sur le manque de travailleurs et sur l’activité économique. Il propose une réduction de ce niveau d’environ 19% sur cinq ans. Ses constats dénotent qu’un seuil de niveau d’immigration adéquat est nécessaire pour la stabilité du niveau de vie des québécois, mais qu’une priorisation de l’augmentation de la productivité aurait des effets économiques plus favorables.
Le nombre d’immigrants permanents annuels recommandés varie d’un économiste penché sur la question à un autre. Pour Pierre Fortin, il faut penser plus modérément à cette cible. Selon ses études, l’argument de devoir augmenter considérablement le nombre d’immigrants pour répondre au manque de travailleurs n’est pas tout à fait juste. En effet, un travailleur étranger qui offre des services est aussi quelqu’un qui demande des services. Tel qu’observé dans d’autres provinces canadiennes, la demande de travailleurs aurait comme effet d’augmenter. Ainsi, un nombre plus grand de travailleurs étrangers résulterait donc en un manque plus grand de travailleurs, autant paradoxal que cela puisse sembler.
Les opportunités économiques en jeu
Au-delà des chiffres liés aux flux migratoires, l’impact économique s’évalue aussi à la capacité des immigrants à contribuer à la productivité, tout comme à la résolution des pénuries sectorielles.
D’après le ministère fédéral de l’Immigration, les immigrants économiques ont connu un revenu médian de 58 900 $, soit approximativement 44 % de plus que la moyenne canadienne. Tout bien considéré, il semblerait donc que lorsqu'ils sont bien intégrés, les travailleurs qualifiés issus de l’immigration sont d’excellents contributeurs à la croissance du PIB, voire à la solidité des finances publiques.
L’immigration contribue aussi à la diversification des compétences. En effet, les

secteurs d’activités des technologies, de la santé et du bâtiment comptent une proportion croissante de travailleurs formés à l’étranger, ce qui participe à augmenter la résilience économique de la province, tout en offrant une capacité d’innovation aux entreprises, surtout dans les régions peu attrayantes pour les travailleurs locaux.
Enfin, à l’échelle macroéconomique, plusieurs études montrent que la croissance de l’économie québécoise aurait été inférieure de près de 9 % à celle observée au cours de la dernière décennie en l’absence de l’apport migratoire.
Les pistes de solution
Pour renforcer la contribution, différents leviers peuvent être mobilisés. Le LMIC-CIMT (2024) prévoit, dans certains domaines comme la santé, la construction ou le numérique, plus de 500 professions en situation de pénurie au Québec, d’ici 2030. Les seuils d’immigration devraient donc être adaptés à ces besoins précis, afin d’assurer que les compétences apportées par les nouveaux arrivants soient mieux correspondantes aux postes vacants.
Selon les dernières données de Statistique Canada, 30 % des immigrants récents occupent un emploi en dessous de leur qualification, contre 19,7 % des Canadiens de naissance. L’accélération de la reconnaissance des diplômes étrangers et la simplification de l’accès aux ordres professionnels devraient contribuer à réduire ce différentiel et augmenter la productivité.
Enfin, la constance dans les politiques migratoires reste essentielle car des critères d’admission clairs et un plan pluriannuel arrimé sur les besoins économiques contribueraient à créer un climat de confiance en faveur des entreprises et à sauvegarder la cohérence du modèle québécois d’immigration. En période de croissance faible, ces dispositifs pourraient constituer une base solide pour faire du retour de l’immigration à la fois un apport à l’économie de la province et à sa durabilité.
Réconcilier prospérité et identité
En somme, le Québec a besoin d’un nombre suffisant d’immigrants pour la croissance économique du Québec. Les immigrants qui viennent travailler contribuent de manière plus que positive au niveau économique. Le vieillissement de la population fait en sorte que certains secteurs bénéficient de l’arrivée de travailleurs étrangers.
Toutefois, l’immigration n’est pas une solution miracle. Un nombre d’immigrants trop élevé peut augmenter la demande globale de travailleurs dans l’économie. De plus, le nombre élevé actuel d’immigrants non-permanents n’est pas souhaitable à court terme. L’impact de la pression d’un nombre trop élevé d’immigrants sur les services publics doit être creuser plus en profondeur. Chose certaine : un travailleur de plus est aussi un consommateur de plus. Les politiques gouvernementales doivent avoir comme horizon une vitalité économique ainsi qu’une intégration adéquate à l’écosystème québécois. La complexité de l’enjeu réside dans la quantification du nombre d’immigrants venant s’installer au Québec.
Thierry Ferland, Fatine Moumni

Pierre-Carl Michaud, Professeur titulaire au Département d’économie appliquée à HEC Montréal, Titulaire de la Chaire de recherche Jacques-Parizeau en politiques économiques
Source : Corps professoral, HEC Montréal

Pierre Fortin, professeur émérite au département des sciences économiques à l'Université du Québec à Montréal et vice-président de l'Institut canadien de recherches avancées
Source : L’Actualité,





